Pour la droite française et britannique, l’environnement, ça commence à bien faire !

Le gouvernement a cédé, et le ministre de l’écologie a annoncé ce jeudi une modification de la loi « zéro artificialisation nette des sols ». L’écologie recule sous les poussées de plus en plus fortes de la droite, ici comme chez notre voisin britannique. Petit tour d’horizon des changements de discours et analogie des comportements d’une partie de la classe politique en France et en Angleterre, décidément bien comparables.

En mai 2019, Pascal Praud ironisait dans son émission sur les températures fraîches relevées le matin dans les Yvelines (à savoir -3 °C) : « Attention, sujet sensible, on ne rigole pas avec le réchauffement climatique« . 

De l’autre côté de la Manche, amusement semblable dans la presse tabloïde de droite. Suite aux records de chaleur qui frappent le pays à l’été 2022, une éditorialiste du Daily Express plaisante (un brin agacée tout de même) : « C’est juste un peu de soleil, ARRÊTEZ de nous traiter comme des enfants » et d’ajouter : « C’est le genre de chaleur pour laquelle les Britanniques paient des centaines, voire des milliers, de livres, pour partir en vacances chaque année« . Si elle avait été en France, cette journaliste aurait pu reprendre les mots affectionnés par Emmanuel Macron et écrire : « Qu’on arrête de nous emmerder avec un peu de chaleur en été !« .

Pas de surprise de retrouver un discours similaire mettant en doute l’urgence climatique dans ces deux médias classés très à droite dans leurs pays respectifs, aux contenus souvent qualifiés de racistes, xénophobes, islamophobes, autoritaires, réactionnaires… bref, le cautionnement de l’extrême droite. 

On connaît la question de la poule et de l’oeuf, il est toujours difficile de savoir qui est arrivé en premier. Mais dans les deux pays, aux côtés de certains médias, on observe en tout cas une même inflexion des discours politiques de droite tendant à préconiser encouragements et laissez-faire tout en minimisant l’urgence climatique.

En France, on doit arrêter d’emmerder les citoyens 

Nous sommes en 2011 et Nicolas Sarkozy visite le salon de l’agriculture. L’occasion pour lui de caresser dans le sens du poil cet électorat de paysans qui vote traditionnellement à droite. L’occasion de marquer l’événement d’une petite phrase. En 2008 c’était « casse toi, pauv’ con« , en 2010 ce sera « l’environnement, ça commence à bien faire« .

Au tournant du XXIe siècle, la droite française conduite par Jacques Chirac semble se rallier à la cause environnementale, longtemps vue comme une préoccupation « de gauche ». On se souvient des mots du président : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs« , prononcés le 2 septembre 2002, lors du sommet de l’ONU sur le développement durable, à Johannesburg (Afrique du Sud). À la suite des engagements pris lors de la campagne électorale de 2007, le nouveau président de la République, Nicolas Sarkozy, charge Jean-Louis Borloo, ministre de l’écologie, d’organiser le Grenelle Environnement. Dans son discours de « mise en œuvre » du plan écologique en mai 2008, Sarkozy parle « d’urgence écologique« .

Le ralliement paraît bien léger si l’on considère les mots utilisés par le président en 2011 pour caractériser l’environnement. Il faut dire que la préoccupation première à l’époque est (déjà) l’immigration. La dernière ministre de l’écologie de Nicolas Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet, accusera d’ailleurs ce dernier d’avoir conduit une campagne 2012 avec les opinions de Charles Maurras.

Au final, Emmanuel Macron est le digne héritier de Nicolas Sarkozy, poursuivant (et amplifiant) la trace de ce dernier. Sur l’immigration, Sarkozy se targuait de siphonner les voix de l’extrême droite en épousant son discours, Macron fait carrément alliance avec lui, la Loi Immigration voulue et soutenue par l’exécutif ayant été votée en décembre dernier avec les voix du parti de Marine Le Pen. Sur l’écologie, Macron suit le même chemin, déclarant qu’il faut arrêter d’ « emmerder les Français » . Il semble d’ailleurs particulièrement apprécier ces mots attribués à l’origine à Pompidou, puisqu’il les cite en 2018 (pour expliquer qu’il n’est pas question de durcir la loi Évin sur l’interdiction des publicités pour l’alcool), en 2022 (cette fois-ci pour dire qu’au contraire, il faut continuer à emmerder ceux qui ne se font pas vacciner contre le Covid – d’ailleurs, allez voir ici la difficulté de traduction pour la presse anglaise), et donc dernièrement au Salon de l’agriculture en 2024, en parlant des normes.

Emmanuel Macron embrasse sans complexe les idées qui plaisent à droite, voire à l’extrême droite. Le Monde parle d’une tentation d’un populisme antiécologique. Lorsque Jordan Bardella, président du RN, s’affiche comme pro-nucléaire, anti-normes, adepte de solutions basées sur les avancées technologiques, il est tout à fait Macron compatible. Quand Marine le Pen faisait le lien entre décroissance et régression, on n’est pas loin de la vision du président qui déclarait en 2020 : « Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine« . D’ailleurs en mai 2023, il demande une « pause réglementaire européenne » en matière de normes environnementales.

Certains membres du gouvernement sont même plus explicites, puisque le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, a parlé des “ayatollahs de l’écologie” et le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qualifient ces manifestations d’ « éco-terrorisme » .

Sur un grand arc qui va de la droite macroniste au RN, la rhétorique fondée sur une forme de climato-scepticisme n’est jamais loin.

Pour assumer une politique écologique et environnementale correspondant aux défis immenses qui nous attendent dans un avenir proche, on serait en droit d’espérer mieux. Dans le contexte d’urgence climatique actuel, pas sûr que sa déclaration d’amour : « On est attaché à la bagnole, on aime la bagnole. Et moi je l’adore« , en septembre 2023, soit le meilleur véhicule de son ambition écologique (sans jeu de mots !).

Dans les autres partis de droite de l’échiquier politique français, on notera le positionnement de Laurent Wauquiez, le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes et candidat probable de son camp à la prochaine élection présidentielle, qui lui aussi en a marre des normes, des réglementations qui s’empilent, et en particulier celles des contraintes liées à la protection de l’environnement. Il a annoncé cet automne ne plus vouloir respecter la règle de « zéro artificialisation nette » (ZAN) de la loi « climat et résilience » votée en 2021. Sa région ferait donc sécession des lois de la République française (nous qui croyions que ceux qui se situent en dehors de la République, c’est la France Insoumise, aurait-on mal compris ?).

L’annonce de Wauquiez avait sans nul doute un double objectif : montrer que la droite ne cède pas aux sirènes de l’écologie vue comme une « lubie de gauche« , tout en mettant pression sur le gouvernement toujours plus perméable aux thématiques les plus à droite de l’échiquier politique. Laurent Wauquiez a certes finalement rétropédalé, mais après que plusieurs assouplissement aient été introduits dans la loi.

Et surtout plus besoin de monter lui-même au créneau puisqu’un poids lourd du gouvernement, le ministre de l’Economie et l’Industrie Bruno Le Maire, a pris le relais. Ce dernier n’a cessé ces dernières semaines de répéter tout le mal qu’il pensait de la mesure, envisageant même de de s’en affranchir unilatéralement (oui, lui aussi !). Finalement le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu n’avait d’autre choix que de battre en retraite et annoncer un arrêté, reprenant en partie les demandes du Sénat, qui exclura des enveloppes régionales les grands projets d’envergure nationale ou européenne.

Au parti Conservateur britannique, l’écologie jouxte le complotisme d’extrême droite

Du côté de la droite anglaise, on appuie aussi sur le frein des mesures environnementales.

Le Brexit a déjà permis au gouvernement britannique de réintroduire dans l’agriculture anglaise des pesticides interdits par l’Union Européenne tels que les néonicotinoïdes (dont l’effet mortel sur les abeilles et leur toxicité neurologique, perturbation endocrinienne, génotoxicité et cancérogénicité ont été maintes fois démontrés).

En octobre 2022, la ministre de l’intérieur britannique Suella Braverman ciblait particulièrement les groupes écologiques adeptes d’opérations coup de poing et médiatiques telles que Extinction Rebellion, Just Stop Oil (connus notamment pour avoir projeté de la soupe sur des tableaux) et Insulate Britain. Elle déclarait au parlement :

« Oui, je le crains, c’est le Parti Travailliste, c’est le Lib Dems, c’est la coalition du chaos, c’est les lecteurs du Guardian  [journal de gauche anglais, ndlr], les wokes mangeurs de Tofu, oserais-je dire, la coalition anti-croissance, que nous devons remercier pour les perturbations que nous voyons sur nos routes aujourd’hui. »

En septembre 2023, le Premier Ministre du Royaume Uni, Rishi Sunak proclame lui aussi son amour de la voiture. 

À rebours des engagements climatiques du gouvernement, Rishi Sunak annonce dans le même temps une série de mesures destinées à promouvoir la voiture (ou tout du moins ne pas « emmerder » les amoureux de la bagnole) : report ainsi de cinq ans, à 2035, l’interdiction de la vente de nouvelles voitures à essence et diesel, interdiction des zones étendues de faibles vitesse (équivalent aux zones 30 km/h en France), abrogation de certaines petites amendes, utilisation des voies de bus… etc. On fait un bon de 40 ans en arrière, à l’apogée de l’ère Thatcher et de l’expansion de la voiture individuelle qu’elle voyait comme le futur des transports. 

TheSun_car_campaign

Campagne du Tabloid The Sun en 2023 contre les mesures de restrictions affectant les conducteurs de véhicules

« Le parti conservateur semble avoir adopté les théories complotistes selon lesquelles un mode de vie plus écologique, plus sain et plus durable est une en fait une sinistre attaque contre les libertés » écrit The Guardian en octobre 2023. La cible à abattre est le concept « villes de 15 minutes« , qui préconise que tous les services essentiels d’une ville soit accessibles dans un rayon de 15 minutes à pied (justement, pour se passer de voitures autant que possible), datant en fait de plusieurs décennies et en France on retrouve par exemple l’idée chez l’architecte Le Corbusier. Plus récemment, l’idée a été reprise et popularisée par Carlos Moreno, un universitaire parisien d’origine colombienne, conseiller auprès de la maire de Paris Anne Hidalgo.

Cet automne, le secrétaire aux Transports, Mark Harper, a donc repris les idées des sphères complotistes d’extrême droite en expliquant que le concept des villes de 15 minutes était « un mouvement soutenu par l’opposition du parti Travailliste pour vous ôter la liberté d’aller d’un point A à un point B comme vous le souhaitez« . Le rejet du concept a en effet bien pris au Royaume-Uni si l’on en croit sondage rapporté par Le Monde qui nous apprend que 33 % des Britanniques estiment que les propositions de M. Moreno servent à réaliser «la volonté du gouvernement de surveiller les citoyens et de restreindre les libertés ». Faut-il y voir un lien entre anti-écologie et extrême droite ? Apparemment, la même étude indique aussi qu’ils sont aussi 32 % à croire que le « grand remplacement […] de la population blanche par des immigrés non blancs est en cours ».

La marche arrière de la droite anglaise sur le climat concerne aussi le remplacement des chauffages au fioul reporté à 2035, le renoncement à l’obligation d’isolation des logements, la fin de l’encouragement au covoiturage, pas de nouvelles taxes pour décourager l’usage de l’avion, abandon de certaines incitations au tri sélectif…

Réelles convictions climatosceptiques ou simple stratégie électorale ? Peut-être surtout l’idée que l’objectif de court terme est avant tout de gagner les prochaines élections, et que l’environnement, on verra plus tard. Suite à la victoire des Tories lors de l’élection partielle à Uxbridge, dans l’ouest de Londres, la plupart des analystes ont oublié que cette circonscription a surtout voté conservateur 80% du temps sur les 125 dernières années recensées et ils ont choisi d’expliquer que l’élection avait été « perdue » par le parti Travailliste du fait de la politique de Sadiq Khan, le maire de gauche de Londres, visant à taxer les voitures polluantes de la capitale. À tel point que le leader du parti Travailliste, Keir Starmer, obnubilé par les gains électoraux, a tout de suite joint sa voix à la droite anglaise et critiqué Sadiq Khan en l’appelant à revoir la mesure.

L’analogie de Jacques Chirac peut donc être complétée : Notre maison brûle, mais nous regardons les résultats des élections pour savoir s’il convient « d’emmerder » les citoyens avec des mesures environnementales. Au final, quand il sera trop tard, une partie de la classe politique dominante aujourd’hui aura terminé sa carrière politique, pourquoi donc s’en préoccuper ?

Laisser un commentaire